Société

La CPI fête ses 20 ans sans avoir acquis la reconnaissance universelle

La CPI fête ses 20 ans sans avoir acquis la reconnaissance universelle

La Cour Pénale Internationale (CPI) installée à La Haye aux Pays-Bas a fêté ses vingt ans ce 1er juillet. Chargée de juger les auteurs de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre et, sous certaines conditions, les crimes d'agression, cette Cour permanente n'est toujours pas arrivée à gagner les cœurs et les esprits. Saut sur vingt ans d'existence.


À la veille des vingt ans d'existence de la CPI, le 30 juin, les juges ont délivré trois mandats d'arrêt contre des responsables Russes et Géorgiens, à la demande du procureur. Sur les photos indexées à ces mandats d'arrêts, l'on voit Michael Mindzaev, ministre de l'Intérieur de l'autoproclamée république d'Ossétie-du-Sud, arboré deux étoiles accrochées sur les épaulettes de son uniforme. David Sanakoev, politicien de cette province séparatiste disputée par Moscou à la Géorgie, y figure aussi dans un classique costume-cravate et Gamlet Guchmazov, l'officier de police, montre un visage angoissé sur de larges épaules.

Les trois hommes, Russes et Géorgiens, forment un triptyque classique des procès internationaux, dont le planificateur, le donneur d'ordres et l'exécutant.

Cependant, ces mandats d'arrêt marquent surtout un tournant pour la Cour pénale internationale. Premièrement, depuis vingt ans, les cibles du bureau du procureur ne sont pas des Africains.

<< Pas encore universelle >>

Crée par un traité adopté en juillet 1998, cette Cour envisage être depuis toujours universelle. À la grande surprise des ONG, car personne ne pensait que tout irait si vite, la CPI a pu ouvrir ses portes le 1er juillet 2002, quatre ans après la grande conférence diplomatique qui validait à Rome son acte de naissance.

Actuellement, 123 États y ont adhéré. Mais elle ne compte dans ses rangs que deux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies : la France et le Royaume uni. La Chine se tient à distance. Les États-Unis essayent depuis longtemps de lui imposer une politique à la carte pour mieux y échapper tout en récoltant les bénéfices d’éventuelles poursuites contre ses ennemis, et la Russie espère l'ébranler de l’intérieur.

En avril, suite à l’enquête ouverte par le procureur Karim Khan début mars sur les crimes de guerre commis en Ukraine, Moscou aurait tenté d’y infiltrer l’un de ses agents.

<< Des enquêtes ouvertes dans 16 pays. >>

Si la CPI n’est toujours pas universelle, la Cour peut actuellement se féliciter d’avoir ouvert des enquêtes sur quatre continents : Afrique, Asie, Europe, et Amérique latine. Un choix imposé en partie par les nombreuses critiques émises contre une politique pénale jugée opportuniste. Le premier procureur de la Cour, Luis Moreno Ocampo (2003-2012), estimait pouvoir conduire des enquêtes faciles en Afrique, sans que les poids lourds de la géopolitique ne s’y opposent, voir parfois avec leur aval.

Hors, après s’être attiré les foudres de nombreux chefs d’État africains, inquiets de voir cette Cour devenir l’instrument des politiques de « changement de régime », sa seconde procureure, la Gambienne Fatou Bensouda (2012-2021), rectifiera le tir.

Présentement, le bureau du procureur a ouvert des enquêtes dans seize pays. Hormis celles conduites en Afrique, ses recherches portent sur la guerre en Ukraine, sur le conflit éclair de l’été 2008 opposant la Russie à la Géorgie, sur une partie des crimes commis par l’armée birmane contre la minorité musulmane des Rohingyas, sur la sanglante guerre que mène le pouvoir philippin contre la drogue, sur les crimes commis par les talibans et l’organisation État islamique en Afghanistan, et sur des crimes présumés au Venezuela.

Finalement, l’ultime enquête, la plus sensible, porte sur les crimes commis dans les territoires palestiniens occupés et à Gaza. Pourtant si la Cour prétend enquêter dans de nombreux pays, elle n’est toujours pas assez universelle pour pouvoir s’emparer des crimes commis en Syrie ou au Yémen. Aucun des deux États n’a accepté son traité, elle n’est dès lors pas compétente pour juger des crimes commis sur leurs territoires.

<< Les États-Unis échappent à la Cour. >>

Si elle a étendu son action, la Cour Pénale Internationale reste perçue comme l’instrument d’une justice à deux vitesses. Certes, s’ils ont été ouverts, les dossiers visant des pays occidentaux ont été, au moins partiellement refermés. Ainsi, l’ancienne procureure, Fatou Bensouda, avait obtenu en 2020 le OK des juges pour conduire des enquêtes sur les soupçons de tortures commises par l’armée américaine en Afghanistan et par la CIA dans ses prisons secrètes, installée en Pologne, en Lituanie et en Roumanie.

Toutefois, cette affaire a valu à la procureure les éclats de l’administration Trump, qui prononçait des sanctions, régulièrement réservées aux terroristes, contre la magistrate gambienne. L’un des premiers gestes de son successeur, Karim Khan, sera de « dé-prioritiser » ce volet de l’affaire Afghanistan pour se concentrer sur les crimes commis par les talibans et l’État islamique.

Fatou Bensouda avait rouvert, un autre chapitre sensible de l’histoire de la Cour, donc celui de tortures qui auraient été commises par des soldats britanniques en Irak. « Menacé » par la Cour, Londres a bien mis en place une enquête judiciaire pour traiter de nombreuses plaintes déposées par des ONG, au nom des victimes irakiennes.
Puisque la Cour n’intervient qu’en dernier recours, la procureure avait laissé la main à Londres, qui a conclu par plusieurs non-lieux.

Le virage ukrainien
Avec la guerre en Ukraine, la CPI vit un nouveau tournant de son histoire. Alors que, sa clémence sur les dossiers visant des Occidentaux donne aujourd’hui des armes à Moscou. Pendant une réunion à New York sur la justice en Ukraine, le 27 avril, alors que le procureur Karim Khan invitait la Russie à coopérer dans son enquête, qui porte aussi sur les exactions de l’armée ukrainienne, le représentant russe envoyait une salve à l’adresse de Londres et de Washington. « Tout à coup ils se sont mis à soutenir la Cour. Une telle attitude fait de la justice une farce » et de la CPI « un instrument politique » lançait-il.

Pour accélérer l’enquête sur l’Ukraine, ouverte peu après le début de la guerre, plus de 40 États ont saisi le procureur, brisant pour la seconde fois un mythe. Depuis, les diplomates se sont gardés d’enclencher des procédures visant directement l’un de leurs pairs, préférant le faire de manière plus détournée , en essayant de souffler à l’oreille des procureurs et en ne coopérant avec la Cour qu’au gré de leurs intérêts nationaux. Sur l’Ukraine, ils ont apporté un soutien incontestable.

Ce mystère avait déjà été brisé en septembre 2018, lorsque plusieurs États latino-américains, soutenus par le Canada, ont saisi le procureur de crimes allégués dans le cas du Venezuela Nicolas de Maduro.

En novembre 2021, Karim Khan a ouvert une enquête et réussi le tour de force de ne pas susciter les éclats du pouvoir. Caracas a choisi d’utiliser les outils à disposition et les règles de la Cour, écrites par des diplomates et non par des juristes en 1998.

Le Venezuela a contesté l’enquête, mais le fait devant les juges de la CPI, assurant être en mesure de conduire les procès devant ses propres tribunaux. La CPI n’intervient qu’en dernier ressort, lorsqu’un État n’a ni la volonté politique ni les moyens d’engager des poursuites. Le Venezuela n’est pas le premier à contester les enquêtes de la Cour sur la base de ce principe de « complémentarité », avant lui le Kenya, la Libye, le Soudan, etc, l'ont également fait.

Ainsi, c'est sur la base de ce principe de « complémentarité » que beaucoup d’États espèrent rester à l’abri de la Cour. Et c’est peut-être là son bilan le plus reluisant dans la lutte contre l’impunité.

Son existence même a incité des capitales à amender leurs codes pénaux, voire à établir des cours spéciales sur leur sol, pour juger les auteurs présumés de crimes de masse.

Au total, malgré le bilan très mitigé de cinq condamnations en vingt ans (voir encadré), « la CPI a eu un impact important sur la justice globale », pense Reed Brody. « À travers son statut de Rome qui a été transposé dans de nombreuses lois nationales, dit le chasseur de dictateurs, ainsi qu'à travers la pression qu'elle a exercé sur certains États comme la Colombie », tenue d’engager des poursuites contre les acteurs d’une guerre de 50 ans, au risque sinon de retrouver ses ressortissants devant la CPI.

Rosine MANGA