DOSSIER OMONDO DEMAIN : Europe face au défi mondial : Puissance militaire ou phare intellectuel ? Entre messianisme américain, trumpisme et Russie autoritaire, quelle destinée pour l’Union européenne ?

DOSSIER OMONDO DEMAIN : Europe face au défi mondial : Puissance militaire ou phare intellectuel ? Entre messianisme américain, trumpisme et Russie autoritaire, quelle destinée pour l’Union européenne ?

Par le Professeur et Conférencier, Christian Sabba Wilson

Introduction

À l’aube de la troisième décennie du XXIe siècle, l’Europe se retrouve à un carrefour historique, prise en étau entre des puissances mondiales aux ambitions affirmées et des défis internes majeurs. Alors que les États-Unis, sous l’influence renouvelée du trumpisme, oscillent entre messianisme démocratique et repli stratégique, la Russie, plus que jamais belligérante et autoritaire, multiplie les démonstrations de force à ses frontières. La Chine, quant à elle, poursuit son ascension méthodique, remodelant les équilibres économiques, technologiques et géopolitiques du globe.

Dans ce contexte de tensions exacerbées, l’Union européenne doit redéfinir sa place et sa vocation. L’heure n’est plus à la simple gestion des affaires courantes ou à la seule défense d’un marché intérieur prospère. L’Europe est sommée de choisir : doit-elle s’affirmer comme une grande puissance militaire, capable de garantir sa sécurité et son autonomie stratégique face aux menaces extérieures ? Ou doit-elle, fidèle à son héritage humaniste, miser sur son rayonnement intellectuel, culturel et normatif, devenant le pôle d’innovation, de régulation et de civilisation du monde contemporain ?

Cette interrogation n’est pas qu’un débat d’experts ou de diplomates. Elle touche au cœur de l’identité européenne, à la capacité du Vieux Continent à peser sur le destin du monde, à offrir une alternative crédible à la logique de puissance brute et à la fragmentation planétaire. Face à la tentation du repli nationaliste, à la montée des populismes, aux fractures internes et à la crise de la démocratie, l’Europe doit inventer un nouveau récit, une ambition collective à la hauteur des enjeux du siècle.

Ce dossier, rédigé par le Professeur Christian Sabba Wilson, propose d’analyser en profondeur les défis et les choix qui s’offrent à l’Europe. Il s’appuie sur les événements récents – guerre en Ukraine, tensions commerciales transatlantiques, crise du multilatéralisme, percée des technologies émergentes – pour éclairer les scénarios possibles et les conditions d’un sursaut européen. À travers une approche multidisciplinaire, mêlant géopolitique, histoire, économie et philosophie politique, il interroge la capacité de l’Union à conjuguer puissance et valeurs, sécurité et ouverture, innovation et solidarité.

Dans un monde où l’ordre international vacille, où les alliances se recomposent et où les sociétés cherchent de nouveaux repères, la destinée de l’Europe n’est pas écrite d’avance. Sera-t-elle reléguée au rang de spectatrice impuissante, ou saura-t-elle redevenir un acteur central, capable d’inventer une voie originale entre l’hyperpuissance militaire et le rayonnement intellectuel ? Ce choix, crucial pour les générations futures, engage la responsabilité de tous les Européens.

  1. L’Europe dans un monde de puissances affirmées et de tensions exacerbées

1.1. Le retour du messianisme américain et la tentation du trumpisme

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a vécu sous le parapluie stratégique des États-Unis, bénéficiant du « messianisme américain » : une volonté affichée de défendre la démocratie libérale, les droits de l’homme et la stabilité internationale. Ce leadership s’est traduit par la création de l’OTAN, la reconstruction de l’Europe via le plan Marshall, et une présence militaire constante sur le continent. Pourtant, le XXIe siècle a vu émerger de nouvelles dynamiques, notamment avec l’irruption du trumpisme, qui a profondément bouleversé la relation transatlantique.

Le trumpisme, caractérisé par un nationalisme économique, un rejet du multilatéralisme et une politique étrangère transactionnelle, a remis en question la « relation spéciale » entre l’Europe et les États-Unis. Les années Trump ont été marquées par des tensions commerciales, des doutes sur la solidité de l’OTAN et une pression accrue pour un réarmement européen. Même après le retour temporaire d’un certain multilatéralisme, la tentation isolationniste et la priorité donnée aux intérêts américains demeurent. L’Europe, longtemps habituée à la protection américaine, doit désormais envisager l’hypothèse d’une autonomie stratégique réelle.

 

Les conséquences sont multiples : d’un côté, une dépendance sécuritaire persistante, qui expose l’Europe à l’imprévisibilité des choix américains ; de l’autre, une incitation à renforcer sa propre capacité de défense et à repenser son rôle dans le monde. Le trumpisme a aussi fragilisé le socle des valeurs communes, mettant en lumière les divergences sur le commerce, la technologie, la régulation du numérique ou la lutte contre le changement climatique.

1.2. La Russie, puissance belligérante et autoritaire : une menace permanente à l’Est

Face à l’Ouest, l’Europe doit composer avec une Russie résolument tournée vers la restauration de sa puissance. Sous la présidence de Vladimir Poutine, Moscou a multiplié les démonstrations de force : annexion de la Crimée, guerre en Ukraine, pressions sur les États baltes, instrumentalisation de l’énergie et campagnes de désinformation. La Russie se présente comme une alternative autoritaire au modèle occidental, prônant la souveraineté, l’ordre et la puissance militaire.

La guerre en Ukraine, loin d’être un simple conflit régional, a révélé la vulnérabilité de l’Europe face à la stratégie du fait accompli. Malgré l’unité affichée sur les sanctions et le soutien à Kiev, l’Union européenne reste divisée sur la nature de la réponse à apporter. Certains États membres, comme la Pologne ou les pays baltes, plaident pour une fermeté sans faille et un réarmement massif. D’autres, plus prudents, craignent l’escalade et les conséquences économiques des sanctions.

La Russie exploite habilement ces divisions, cherchant à affaiblir l’unité européenne et à tester la résilience de l’OTAN. Les cyberattaques, l’instrumentalisation des flux migratoires et la diplomatie du gaz sont autant d’outils utilisés pour peser sur les choix stratégiques de l’Europe. Face à cette menace, la question de l’autonomie stratégique et de la capacité à défendre son territoire devient centrale pour l’avenir de l’Union.

1.3. La Chine et la fragmentation du nouvel ordre mondial

Si le duel russo-occidental occupe le devant de la scène, l’ascension de la Chine bouleverse en profondeur l’équilibre mondial. Pékin, désormais deuxième puissance économique et technologique de la planète, avance ses pions en Europe via les « Nouvelles routes de la soie », les investissements massifs dans les infrastructures, et une diplomatie active dans les institutions internationales. La Chine propose un modèle alternatif, fondé sur l’efficacité, la stabilité et le développement économique, mais aussi sur le contrôle politique et la surveillance.

L’Europe se trouve ainsi prise entre plusieurs feux : la pression américaine pour contenir l’influence chinoise, la nécessité de préserver ses intérêts économiques, et la défense de ses valeurs démocratiques. Les débats sur la 5G, la dépendance aux composants électroniques, ou la protection des données illustrent la difficulté à trouver un équilibre entre ouverture et souveraineté.

Par ailleurs, la montée des BRICS et la fragmentation du Sud global complexifient la donne. L’Europe, longtemps centre du monde, doit désormais composer avec une multipolarité assumée, où son poids relatif tend à diminuer. La compétition pour les ressources, l’accès aux marchés et l’influence normative s’intensifie, obligeant l’Union à repenser ses alliances et ses priorités.

1.4. L’Europe : marginalisation ou acteur pivot ?

Face à ces puissances affirmées, l’Europe oscille entre le risque de marginalisation et la possibilité de redevenir un acteur pivot. Si elle ne parvient pas à s’unir et à définir une stratégie claire, l’Union européenne risque de devenir un terrain de jeu pour les ambitions des autres. Les crises récentes – pandémie, guerre en Ukraine, tensions commerciales – ont montré à la fois la fragilité et la résilience du projet européen.

Certains analystes estiment que l’Europe, forte de son marché unique, de son soft power et de son expérience du multilatéralisme, peut jouer un rôle de médiateur et d’innovateur dans le nouvel ordre mondial. D’autres soulignent la nécessité d’un sursaut politique, d’un investissement massif dans la défense, la technologie et l’éducation, pour éviter le déclassement.

La question centrale demeure : l’Europe peut-elle peser face au messianisme américain, au trumpisme, à la Russie autoritaire et à la montée de la Chine ? Ou doit-elle accepter un rôle secondaire, cantonnée à la régulation et à la gestion des crises ? Ce dilemme structure la réflexion stratégique du continent pour les décennies à venir.

 

  1. Les dilemmes stratégiques de l’Europe : puissance militaire ou rayonnement intellectuel ?

2.1. La tentation de la puissance militaire : vers une « Europe puissance » ?

Face à un environnement international de plus en plus instable, la tentation de voir l’Europe s’affirmer comme une grande puissance militaire n’a jamais été aussi forte. La guerre en Ukraine, la montée des menaces hybrides, la pression russe sur les frontières orientales et l’incertitude persistante sur la fiabilité de la protection américaine poussent de nombreux dirigeants européens à réclamer une « autonomie stratégique » réelle. Le débat sur la défense européenne, longtemps cantonné à des cercles d’experts, s’est imposé au cœur de l’agenda politique.

L’idée d’une « Europe puissance », capable de défendre ses intérêts sans dépendre systématiquement de l’OTAN ou des États-Unis, fait l’objet de multiples initiatives : Fonds européen de la défense, projet de « boussole stratégique », multiplication des exercices militaires conjoints, relance de la coopération structurée permanente (CSP). Certains États membres, à l’image de la France, militent pour une Europe dotée de capacités de projection, d’une industrie de défense compétitive et, à terme, d’une force de dissuasion propre.

Cependant, cette ambition se heurte à plusieurs obstacles majeurs. Les divergences nationales restent profondes : l’Allemagne, l’Italie ou les pays nordiques demeurent attachés à l’OTAN, tandis que les pays d’Europe centrale et orientale privilégient la garantie américaine face à la menace russe. Les budgets de défense, bien que globalement en hausse, restent inférieurs à ceux des grandes puissances rivales. La dépendance technologique à l’égard des États-Unis, notamment dans les domaines du renseignement, du spatial et du cyber, limite la marge de manœuvre européenne.

Enfin, la question nucléaire divise : la France, seule puissance nucléaire de l’UE, propose d’étendre son « parapluie » à ses partenaires, mais cette offre suscite autant de réticences que d’espoirs. La construction d’une véritable défense européenne, crédible et autonome, supposerait une volonté politique forte, des investissements massifs et une culture stratégique partagée – conditions qui, pour l’instant, restent à consolider.

 

2.2. L’Europe, pôle de rayonnement intellectuel, culturel et normatif

Face à la tentation de la puissance militaire, une autre voie s’offre à l’Europe : celle du rayonnement intellectuel, culturel et normatif. Depuis les Lumières, le Vieux Continent s’est imposé comme le berceau des droits de l’homme, de la démocratie parlementaire, du multilatéralisme et du dialogue des civilisations. L’Union européenne, forte de ses 27 États membres, incarne un modèle unique de coopération pacifique, de régulation et d’innovation sociale.

Ce « soft power » européen s’exprime dans de nombreux domaines : universités de rang mondial, recherche scientifique d’excellence, industrie culturelle foisonnante, diplomatie climatique ambitieuse, régulation du numérique (RGPD), promotion des droits des minorités et de l’égalité. L’Europe est souvent perçue comme un « laboratoire du futur », capable d’inventer de nouvelles formes de vivre-ensemble, de concilier croissance et durabilité, liberté et solidarité.

Ce rayonnement, cependant, n’est pas sans fragilité. La concurrence des modèles autoritaires (Chine, Russie), la montée des populismes et des nationalismes, la crise de la démocratie représentative et la désinformation numérique menacent la capacité de l’Europe à incarner un idéal universel. Les universités et les centres de recherche subissent la concurrence des États-Unis et de l’Asie. L’influence culturelle européenne, bien que réelle, est parfois éclipsée par la puissance des industries américaines du divertissement et de la tech.

Pourtant, l’Europe conserve d’immenses atouts : elle reste le premier pôle touristique mondial, un leader de la diplomatie climatique, un acteur clé de la régulation internationale et un espace d’innovation sociale. Sa capacité à fédérer, à dialoguer, à imposer des normes (le fameux « Brussels effect ») demeure une force singulière dans un monde fragmenté.

2.3. Complémentarité ou contradiction ? Vers un modèle hybride de puissance

Le dilemme entre puissance militaire et rayonnement intellectuel est-il insoluble ? Nombre d’analystes plaident aujourd’hui pour un modèle hybride, où l’Europe combinerait les deux dimensions. L’histoire montre que les grandes civilisations ont su conjuguer force et influence : la Rome antique, l’Europe des Lumières, les États-Unis du XXe siècle. La puissance militaire, loin d’être incompatible avec le soft power, peut en être le garant : sans sécurité, pas de liberté ; sans autonomie stratégique, pas de souveraineté normative.

L’Union européenne pourrait ainsi viser une « puissance complète », capable de se défendre, de protéger ses intérêts, mais aussi de promouvoir ses valeurs et d’inspirer le monde. Cela supposerait de dépasser les clivages internes, d’investir dans la recherche et l’innovation, d’assumer une ambition industrielle et technologique, tout en préservant l’ouverture, la diversité et la solidarité qui font sa singularité.

Le risque, à défaut de choix clair ou d’équilibre, serait la dilution : une Europe ni vraiment puissance militaire, ni véritable phare intellectuel, condamnée à l’impuissance ou à l’effacement. Les débats actuels sur la défense européenne, la régulation du numérique, la transition écologique ou la souveraineté industrielle illustrent la difficulté de l’Union à trancher, à s’unir et à se projeter dans l’avenir.

2.4. L’urgence d’un choix stratégique pour l’avenir de l’Europe

Au-delà des discours, l’Europe est confrontée à une urgence stratégique. Les menaces extérieures s’aggravent, les concurrents avancent, les sociétés européennes doutent. La crédibilité de l’Union, sa capacité à protéger ses citoyens, à peser sur la scène internationale et à offrir un modèle alternatif, dépendra de sa faculté à faire des choix courageux.

Faut-il investir massivement dans la défense, au risque de heurter l’idéal pacifiste et de diviser les opinions publiques ? Faut-il, au contraire, miser sur l’éducation, la culture, la science, la régulation, en assumant un rôle de « puissance tranquille » ? Ou faut-il, plus pragmatiquement, combiner les deux, en adaptant la stratégie européenne aux réalités mouvantes du XXIe siècle ?

Ce débat, loin d’être purement théorique, engage l’avenir de l’Europe comme acteur global. Il conditionne la capacité du continent à résister aux chocs, à défendre ses intérêts, à inspirer confiance et respect. Il pose, en creux, la question du projet européen : simple marché ou communauté de destin, puissance ou conscience du monde ?

 

III. Les défis internes : unité, identité, démocratie

3.1. Les fractures internes : nationalismes, populismes et crises démocratiques

Si l’Europe doit affronter des défis géopolitiques majeurs à ses frontières, elle doit aussi regarder en face ses propres fragilités internes. L’Union européenne traverse depuis plus d’une décennie une série de crises qui ont mis à l’épreuve son unité et sa capacité à forger une identité partagée. La montée des nationalismes, des populismes et des extrêmes politiques menace la cohésion du projet européen. De la Hongrie de Viktor Orbán à l’Italie de Giorgia Meloni, en passant par la Pologne ou la France, les partis eurosceptiques et souverainistes séduisent une part croissante de l’électorat, souvent sur fond de défiance envers les institutions de Bruxelles.

La crise migratoire de 2015, la pandémie de Covid-19, puis la guerre en Ukraine ont révélé à la fois la solidarité et les divisions profondes entre États membres. Les débats sur la répartition des réfugiés, la gestion des frontières, la réponse sanitaire ou la politique énergétique ont mis en lumière des visions parfois irréconciliables de l’Europe. L’euroscepticisme prospère sur le sentiment d’abandon, la peur du déclassement et la méfiance envers une « technocratie » perçue comme éloignée des réalités nationales.

Cette fragmentation politique s’accompagne d’une crise de la démocratie représentative. L’abstention progresse à chaque scrutin, la confiance dans les partis traditionnels et les médias s’érode, et la désinformation se diffuse à grande échelle, notamment via les réseaux sociaux. Les récents succès électoraux des partis anti-système, les manifestations contre la réforme des retraites en France ou la contestation des politiques climatiques en Allemagne illustrent l’ampleur du malaise démocratique européen.

3.2. Le défi de l’identité européenne : diversité, mémoire et valeurs communes

L’unité européenne ne peut reposer sur la seule addition des intérêts nationaux ou la gestion technocratique du marché unique. Elle suppose un récit commun, une mémoire partagée et une adhésion à des valeurs universelles. Or, la question de l’identité européenne demeure l’un des points les plus sensibles et les plus débattus du projet d’intégration.

L’Europe est d’abord un continent de diversité : diversité linguistique, religieuse, culturelle, historique. Cette richesse est un atout, mais elle complique la construction d’un sentiment d’appartenance collectif. Les commémorations du 8 mai, les débats sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale ou la gestion du patrimoine culturel illustrent la difficulté à forger une identité européenne sans effacer les identités nationales.

Les valeurs – démocratie, état de droit, droits de l’homme, égalité, solidarité – constituent le socle du projet européen. Mais leur interprétation et leur mise en œuvre font l’objet de tensions croissantes, notamment avec certains pays d’Europe centrale et orientale. Les procédures d’infraction engagées contre la Hongrie ou la Pologne pour atteinte à l’indépendance de la justice ou à la liberté de la presse témoignent de la difficulté à garantir l’universalité des principes fondateurs.

L’enjeu identitaire est aussi générationnel. Les jeunes Européens, plus mobiles, plus connectés et souvent plus ouverts, incarnent l’espoir d’une Europe « post-nationale ». Les programmes Erasmus, les réseaux universitaires, les mobilités professionnelles contribuent à l’émergence d’une citoyenneté européenne active. Pourtant, l’accès inégal à ces opportunités et la persistance des fractures sociales limitent la portée de ce mouvement.

3.3. Innovation, jeunesse et transition écologique : les nouveaux moteurs de l’Europe

Face à la crise de confiance et à la fragmentation politique, l’Europe peut miser sur ses atouts : l’innovation, la jeunesse et la transition écologique. Le continent dispose d’un réseau d’universités et de centres de recherche parmi les plus performants au monde. Les pôles d’excellence en intelligence artificielle, en biotechnologies, en énergie verte ou en sciences sociales font de l’Union européenne un acteur clé de la révolution numérique et scientifique.

La jeunesse européenne, souvent en première ligne des mobilisations pour le climat ou pour la justice sociale, pousse les institutions à innover et à accélérer la transition écologique. Le Pacte vert européen, la stratégie « Fit for 55 » ou les plans de relance post-Covid témoignent de la volonté de faire de l’Europe le leader mondial de la lutte contre le réchauffement climatique. Les investissements dans les énergies renouvelables, la mobilité durable, l’économie circulaire et la protection de la biodiversité sont autant de leviers pour réinventer le modèle de croissance européen.

Ce dynamisme, cependant, doit être soutenu par une politique d’inclusion sociale et territoriale. La fracture entre métropoles innovantes et zones rurales en déclin, entre jeunes diplômés mobiles et populations précarisées, menace la cohésion du projet européen. La réussite de la transition écologique et numérique dépendra de la capacité à embarquer l’ensemble des citoyens, à former, à protéger et à offrir des perspectives à tous.

 

3.4. La démocratie européenne à l’épreuve : médias, société civile et renouveau institutionnel

La vitalité démocratique de l’Europe repose sur la pluralité des médias, la liberté d’expression, la force de la société civile et la capacité à réformer ses institutions. Or, ces piliers sont aujourd’hui fragilisés par la concentration des médias, la montée des discours de haine en ligne, la violence contre les journalistes et la défiance envers les élites.

Les initiatives pour renforcer l’éducation aux médias, la lutte contre la désinformation, la protection des lanceurs d’alerte et la transparence des institutions sont essentielles pour restaurer la confiance. L’Union européenne a lancé plusieurs chantiers : réglementation des plateformes numériques, soutien au journalisme indépendant, protection des données personnelles.

Le renouveau démocratique passe aussi par une réforme des institutions européennes : simplification des procédures, renforcement du rôle du Parlement européen, participation citoyenne accrue via les conférences sur l’avenir de l’Europe. Les intellectuels, les artistes, les ONG, les entrepreneurs sociaux sont appelés à jouer un rôle moteur dans la redéfinition du projet européen.

3.5. Synthèse : unité dans la diversité, ou risque de fragmentation ?

L’Europe, confrontée à ses propres défis internes, doit choisir entre la tentation du repli et l’audace du renouveau. L’unité dans la diversité, loin d’être un slogan, est la condition de la survie du projet européen. La capacité à surmonter les fractures politiques, sociales et culturelles, à forger une identité partagée et à renouveler la démocratie, déterminera la place de l’Europe dans le monde de demain.

La réussite de cette entreprise dépendra de la mobilisation de toutes les forces vives du continent : citoyens, élus, entreprises, chercheurs, artistes, jeunes générations. C’est à ce prix que l’Europe pourra peser face aux défis extérieurs, défendre ses valeurs et offrir un modèle de société envié et respecté.

  1. Scénarios et perspectives pour l’Europe à l’horizon 2035

4.1. Vers une Europe puissance militaire ? Les conditions d’une autonomie stratégique réelle

Au vu de la montée des menaces extérieures – Russie belligérante, instabilité au Moyen-Orient, incertitudes transatlantiques liées au trumpisme – le scénario d’une Europe s’affirmant comme grande puissance militaire n’a jamais été aussi débattu. Les appels à une « autonomie stratégique » se multiplient : le concept, popularisé par la France et désormais repris dans les institutions européennes, vise à doter l’Union européenne des moyens de défendre ses intérêts sans dépendre exclusivement des États-Unis.

Pour que ce scénario devienne réalité d’ici 2035, plusieurs conditions doivent être réunies :

Volonté politique forte : Les dirigeants européens devront dépasser les clivages nationaux et accepter une mutualisation accrue des moyens de défense, y compris dans les domaines sensibles comme le renseignement, le spatial, le cyber et la dissuasion nucléaire.

Investissements massifs : Les budgets de défense devront augmenter de façon coordonnée, permettant le développement d’une industrie européenne compétitive, l’acquisition de capacités de projection et la modernisation des armées.

Culture stratégique partagée : Il faudra forger une doctrine commune, adaptée aux menaces hybrides, au terrorisme, à la guerre informationnelle et aux nouveaux champs de conflictualité.

Renforcement des alliances : Si l’OTAN restera un pilier, l’Europe devra être capable d’agir seule en cas de désengagement américain, tout en développant des partenariats avec l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Indo-Pacifique.

Ce scénario, s’il se concrétise, ferait de l’Europe un acteur militaire crédible, capable de dissuader les agressions, de stabiliser son voisinage et de peser dans la compétition des grandes puissances. Mais il suppose de surmonter des résistances historiques, des divergences d’intérêts et des opinions publiques parfois réticentes à l’idée d’une « Europe de la défense ».

4.2. Vers une Europe phare intellectuel et civilisationnel ? L’horizon du soft power européen

À l’opposé du scénario militariste, certains imaginent une Europe qui, fidèle à son héritage humaniste, miserait avant tout sur son rayonnement intellectuel, culturel et normatif. Ce scénario verrait l’Union européenne s’affirmer comme le principal pôle de régulation mondiale, d’innovation sociale et environnementale, de diplomatie multilatérale et de création artistique.

 

Les conditions de réussite de ce modèle :

Leadership en matière de droits de l’homme et de démocratie : L’Europe continuerait d’imposer ses normes sur la protection des données, la lutte contre la désinformation, la régulation de l’intelligence artificielle, la transition écologique et la responsabilité sociale des entreprises.

Investissements dans l’éducation, la recherche et la culture : Les universités européennes, les centres de recherche, les industries créatives et les institutions culturelles seraient au cœur de la stratégie d’influence.

Diplomatie du climat et de la paix : L’Europe deviendrait le moteur des négociations climatiques, de la coopération Nord-Sud et de la prévention des conflits, misant sur la médiation, l’aide au développement et la solidarité internationale.

Attractivité et ouverture : Le continent continuerait d’attirer étudiants, chercheurs, artistes, entrepreneurs et réfugiés, devenant un modèle d’intégration et d’innovation.

Ce scénario, qui fait de l’Europe un « laboratoire du futur », séduit une partie des élites et des jeunes générations. Mais il comporte aussi des risques : celui d’une puissance « douce » incapable de se défendre, d’une influence limitée face à la brutalité des rapports de force, ou d’un déclassement progressif si la dimension sécuritaire est négligée.

4.3. L’hybridation des modèles : vers une puissance complète à l’européenne ?

La réalité, sans doute, se situera entre ces deux pôles. De plus en plus de voix plaident pour une « puissance complète » à l’européenne, capable d’articuler hard power et soft power, sécurité et rayonnement, autonomie stratégique et ouverture. Ce modèle hybride, déjà esquissé dans la « boussole stratégique » de l’UE, suppose :

Un renforcement de la défense européenne, sans renoncer à la coopération transatlantique ;

Une politique industrielle ambitieuse, pour garantir la souveraineté technologique, énergétique et alimentaire ;

La poursuite du leadership normatif, notamment sur le climat, le numérique, la santé mondiale ;

Un effort massif en faveur de la cohésion sociale, de la jeunesse, de la transition écologique et de la lutte contre les inégalités ;

Une diplomatie active, fondée sur le multilatéralisme, la médiation et le dialogue des cultures.

Ce scénario d’« Europe puissance équilibrée » est exigeant. Il nécessite de surmonter les divisions internes, de réformer les institutions, d’impliquer les citoyens et de mobiliser toutes les ressources du continent. Mais il offre la promesse d’une Europe à la fois respectée, attractive et capable d’influencer l’ordre mondial.

4.4. Le risque du déclassement ou de la marginalisation

À défaut de choix clair, l’Europe court le risque d’un déclassement progressif. Les scénarios pessimistes évoquent une Union européenne fragmentée, incapable de s’unir face aux chocs extérieurs, reléguée au rang de spectatrice dans la compétition des grandes puissances. La dépendance technologique, la vulnérabilité énergétique, la stagnation démographique, la montée des populismes et la crise de la démocratie pourraient conduire à un affaiblissement durable du projet européen.

Dans un monde où la loi du plus fort tend à s’imposer, l’Europe ne pourra compter éternellement sur la bienveillance de ses partenaires. Les crises récentes – pandémie, guerre en Ukraine, tensions commerciales, dérèglement climatique – ont montré la nécessité d’une capacité d’action rapide, d’une vision partagée et d’une volonté politique renouvelée.

 

4.5. Synthèse prospective : l’Europe à la croisée des chemins

À l’horizon 2035, l’Europe se trouve face à un choix historique. Elle peut devenir une grande puissance militaire, un phare intellectuel et civilisationnel, ou – plus probablement – tenter d’articuler ces deux dimensions dans un modèle original. Sa capacité à peser dans le monde dépendra de la cohérence de ses choix, de la mobilisation de ses citoyens et de la fidélité à ses valeurs.

Le défi est immense, mais les atouts ne manquent pas : marché unique, diversité culturelle, excellence scientifique, tradition démocratique, expérience du multilatéralisme. L’Europe a déjà prouvé, à plusieurs reprises, sa capacité à se réinventer face à l’adversité. L’heure est venue de faire preuve d’audace, d’innovation et de solidarité pour inventer la puissance européenne du XXIe siècle.

Conclusion : L’Europe à l’heure du choix, entre puissance et conscience

L’Europe entre dans la décennie 2030 à la croisée des chemins, confrontée à une série de défis d’une ampleur inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sous la pression d’un environnement international instable – marqué par le retour du messianisme américain, la résurgence du trumpisme, l’affirmation d’une Russie autoritaire et belligérante, la montée en puissance de la Chine et la fragmentation du Sud global – l’Union européenne ne peut plus se contenter d’être un simple espace économique ou un laboratoire de normes. Elle doit, pour survivre et peser, choisir sa destinée : devenir une puissance militaire crédible, un pôle intellectuel et civilisationnel, ou inventer un modèle hybride capable de conjuguer force et rayonnement.

  1. L’Europe, laboratoire de la modernité et de la complexité

L’histoire de l’Europe est celle d’un continent qui a su, à chaque époque de crise, se réinventer. Berceau des Lumières, de la démocratie parlementaire, des droits de l’homme, de la science moderne et du multilatéralisme, l’Europe a longtemps été le « phare du monde ». Mais elle a aussi connu les tragédies des guerres mondiales, des totalitarismes, des génocides et des divisions internes. Cette mémoire, douloureuse mais féconde, constitue à la fois un avertissement et une source d’inspiration.

Aujourd’hui, l’Europe est à la fois un modèle envié – pour sa qualité de vie, son système de protection sociale, son ouverture culturelle, sa capacité à réguler la mondialisation – et une puissance contestée, fragilisée par ses divisions, sa démographie déclinante, ses doutes identitaires et la montée des populismes. La question posée n’est donc pas seulement celle de la puissance, mais aussi celle du sens : quelle Europe voulons-nous pour nous-mêmes et pour le monde ?

  1. La tentation de la puissance militaire : nécessité ou illusion ?

Face à la brutalité des rapports de force, à la guerre en Ukraine, aux menaces hybrides et à l’incertitude sur la garantie américaine, la tentation d’une « Europe puissance » s’impose avec force. Renforcer la défense européenne, investir dans les technologies stratégiques, mutualiser les moyens, développer une industrie de l’armement compétitive, assumer une autonomie stratégique : autant de chantiers ouverts, mais encore inachevés.

Pourtant, l’Europe ne pourra jamais être une « superpuissance » à l’américaine ou à la chinoise. La diversité de ses cultures stratégiques, la réticence de ses opinions publiques, la difficulté à dépasser les égoïsmes nationaux et la dépendance technologique limitent la portée de ce projet. Mais l’histoire enseigne que la sécurité est la condition de la liberté : sans capacité de défense crédible, l’Europe resterait vulnérable aux pressions extérieures et incapable de protéger ses intérêts.

  1. Le rayonnement intellectuel, culturel et normatif : l’autre force de l’Europe

À l’inverse, l’Europe dispose d’un atout unique : son soft power. Elle reste le premier pôle touristique, un leader de la diplomatie climatique, un modèle de régulation numérique, un espace de créativité artistique, scientifique et sociale. Son influence normative – le fameux « Brussels effect » – façonne les règles du commerce, de la protection des données, du développement durable et des droits de l’homme bien au-delà de ses frontières.

Ce rayonnement, cependant, ne peut suffire à garantir la sécurité et la prospérité du continent. Il doit être nourri par l’innovation, l’éducation, la recherche, la solidarité et l’ouverture. L’Europe ne peut se contenter d’être un musée ou un « jardin » protégé : elle doit rester un laboratoire vivant, capable d’attirer, d’intégrer, de transformer.

  1. L’hybridation des modèles : vers une puissance complète à l’européenne

La véritable voie d’avenir réside sans doute dans l’hybridation : une « puissance complète » à l’européenne, capable de conjuguer hard power et soft power, sécurité et rayonnement, autonomie stratégique et ouverture. Cette synthèse exige de surmonter les divisions internes, de réformer les institutions, d’impliquer la jeunesse et la société civile, d’investir dans la transition écologique et numérique, et de défendre un modèle de société fondé sur la démocratie, la justice sociale et la durabilité.

C’est dans cette capacité à articuler puissance et conscience, force et valeurs, que réside la singularité européenne. L’Europe ne doit pas choisir entre être un acteur militaire ou un phare intellectuel : elle doit assumer les deux dimensions, en les adaptant à son histoire, à sa géographie et à ses aspirations.

  1. Les conditions du sursaut : unité, courage, imagination

Pour réussir ce pari, l’Europe doit d’abord retrouver l’unité. Cela suppose de dépasser les égoïsmes nationaux, de forger une identité partagée, de combattre les populismes et de renouveler la démocratie. Il faut ensuite du courage politique : oser investir dans la défense, dans l’innovation, dans l’éducation, dans la justice sociale, même si cela implique des choix difficiles et des sacrifices à court terme. Enfin, il faut de l’imagination : inventer de nouveaux récits, de nouveaux modes de gouvernance, de nouvelles formes de solidarité et de coopération, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union.

  1. L’Europe et la jeunesse : transmission, espoir, responsabilité

L’avenir de l’Europe appartient à sa jeunesse. C’est à elle qu’il revient de porter le flambeau du renouveau, d’inventer les solutions aux défis du XXIe siècle, de faire vivre l’idéal européen. L’éducation, la mobilité, l’engagement citoyen, la créativité sont les clés d’une Europe dynamique, inclusive et résiliente. Les jeunes Européens, plus mobiles, plus connectés, plus ouverts à la diversité, sont porteurs d’une citoyenneté nouvelle, capable de dépasser les frontières et les préjugés.

  1. L’Europe dans le monde : partenaire, médiatrice, innovatrice

Dans le concert des nations, l’Europe doit se penser comme un acteur global, capable de dialoguer avec toutes les puissances, de défendre la paix, de promouvoir la justice et la solidarité, d’innover dans la gouvernance mondiale. Elle doit être à la fois un partenaire fiable, une médiatrice respectée et une innovatrice audacieuse. Sa vocation n’est pas de dominer, mais d’inspirer ; non de s’imposer, mais de convaincre.

  1. Dernier mot : l’urgence d’un choix et la promesse d’un avenir

L’Europe n’a plus le luxe de l’indécision. Le temps presse : les défis s’accumulent, les menaces se rapprochent, les sociétés doutent. Mais l’histoire montre que les grandes crises sont aussi des moments d’invention et de renaissance. L’Europe a les ressources, les talents, l’expérience et la légitimité pour relever le défi. Il lui faut désormais la volonté, la vision et la confiance.

Puissance militaire ou phare intellectuel ? La réponse, au fond, n’est pas binaire. L’Europe doit être à la hauteur de son histoire : une puissance de paix, de droit, d’innovation et de solidarité. Un continent capable de défendre ses citoyens, de protéger la planète, d’inspirer le monde et de transmettre aux générations futures un modèle de civilisation digne, ouvert et durable.

C’est là, dans cette synthèse exigeante et ambitieuse, que se joue la destinée européenne. L’urgence est là, mais l’espoir aussi. À l’Europe de faire le choix du courage et de l’avenir.