Introduction
Depuis sa transformation en Rassemblement National (RN) sous la direction de Marine Le Pen, le parti fondé par Jean-Marie Le Pen a entrepris une stratégie de dédiabolisation visant à rompre avec son image historique d'extrême droite. Ce processus, renforcé par Jordan Bardella, son successeur à la présidence, cherche à repositionner le RN comme un acteur légitime de la vie politique française et internationale.
La visite récente de Jordan Bardella en Israël, marquée par des gestes symboliques forts tels qu’un hommage aux victimes de la Shoah et une dénonciation de l’antisémitisme, illustre cette démarche. Cependant, cette stratégie se heurte à des critiques persistantes, notamment de la part du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), qui refuse toujours d’inviter le RN à ses événements officiels.
Ce dossier vise à analyser si le RN a réellement changé ou s’il s’agit d’un simple ravalement de façade. À travers l’examen de la visite de Bardella en Israël, les réactions du CRIF et les ambiguïtés idéologiques du parti, nous chercherons à comprendre si le RN peut prétendre incarner un protecteur sincère des Juifs ou si ses efforts relèvent d’une stratégie opportuniste.
- La visite de Jordan Bardella en Israël : Un tournant stratégique pour le RN
La visite de Jordan Bardella en Israël, en mars 2025, constitue un événement inédit dans l’histoire du Rassemblement National (RN). Premier dirigeant du parti à être officiellement invité par le gouvernement israélien, Bardella a multiplié les gestes symboliques et les déclarations fortes pour renforcer l’image d’un RN pro-israélien et protecteur des Juifs. Cependant, cette démarche s’inscrit dans un contexte complexe, où les tensions autour de l’héritage historique du parti continuent de susciter des débats.

- Un déplacement hautement symbolique
- Hommage aux victimes du terrorisme : Lors de son arrivée en Israël, Jordan Bardella s’est rendu sur le site du massacre du festival Nova, où plus de 370 personnes ont été tuées lors d’une attaque du Hamas en octobre 2023. Ce moment de recueillement visait à établir un parallèle entre les attentats jihadistes en France et ceux subis par Israël, mettant en avant une solidarité face à un ennemi commun : l’islamisme radical13.
- Visite à Yad Vashem : Le président du RN a également visité le mémorial de la Shoah, Yad Vashem, où il a rendu hommage aux victimes de l’Holocauste. Ce geste fort s’inscrit dans une volonté de rompre avec l’image historique d’antisémitisme associée au FN, le prédécesseur du RN6.
- Participation à la Conférence internationale contre l’antisémitisme
- Un discours stratégique : À Jérusalem, Bardella a prononcé un discours dénonçant une "lune de miel mortelle entre islamistes et gauche extrême". Cette déclaration vise à repositionner le RN comme un acteur central dans la lutte contre l’antisémitisme, tout en critiquant ses adversaires politiques traditionnels.
- Présence controversée : Bien que soutenu par des figures politiques israéliennes comme Amichai Chikli, ministre israélien de la Diaspora et membre du Likoud, la présence de Bardella a suscité des réactions mitigées. Plusieurs personnalités juives internationales, dont Bernard-Henri Lévy et Jonathan Greenblatt (chef de la Ligue antidiffamation), ont décliné leur participation à la conférence pour protester contre la présence de représentants d’extrême droite.
- Une rencontre historique avec Benjamin Netanyahou
- Un entretien exclusif : Après son discours, Bardella a rencontré le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Cet échange renforce la dimension historique et diplomatique de sa visite, marquant une tentative claire d’intégrer le RN dans les cercles politiques internationaux respectables.
- Objectifs politiques : Cette rencontre vise à légitimer le RN sur la scène internationale tout en consolidant son image auprès des électeurs français sensibles aux questions liées à Israël et à la lutte contre l’antisémitisme.
- Réactions en Israël et en France
- Accueil favorable mais prudent : Si certains responsables israéliens ont salué cette visite comme un signe d’ouverture, d’autres ont exprimé des réserves quant à la sincérité des intentions du RN. En France, cette démarche a été perçue comme une étape supplémentaire dans la stratégie de dédiabolisation du parti.
- Un "bouclier contre l’antisémitisme" ? : Bardella a affirmé que le RN est désormais un "bouclier contre l’antisémitisme" en France. Cependant, cette déclaration soulève des interrogations sur la capacité réelle du parti à se distancier de son passé controversé.
Conclusion partielle
La visite de Jordan Bardella en Israël marque un tournant stratégique pour le Rassemblement National. En multipliant les gestes symboliques et les rencontres diplomatiques, le président du RN cherche à repositionner son parti comme un acteur légitime dans la lutte contre l’antisémitisme. Toutefois, les réactions mitigées qu’a suscitées ce déplacement montrent que le chemin vers une pleine acceptation reste semé d’embûches. Les tensions autour de l’héritage historique du RN continuent d’alimenter les débats sur la sincérité et les motivations réelles de cette démarche.
Dans la partie suivante, nous analyserons les réactions du CRIF et les tensions internes au sein de la communauté juive française face à cette stratégie de dédiabolisation.
- Les réactions du CRIF et les tensions au sein de la communauté juive française
La visite de Jordan Bardella en Israël, bien qu’historique pour le Rassemblement National (RN), a suscité des réactions contrastées en France, notamment de la part du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Cette institution, qui joue un rôle central dans la représentation des Juifs français, a maintenu une ligne critique à l’égard du RN, mettant en lumière les divisions internes au sein de la communauté juive sur l’attitude à adopter face à ce parti.
- La position ferme du CRIF : Une exclusion maintenue
- Refus d’invitation au dîner annuel : Yonathan Arfi, président du CRIF, a confirmé que le RN ne serait pas invité au prochain dîner annuel de l’organisation. Il a justifié cette exclusion par "des raisons historiques" et "un problème d’antisémitisme à l’extrême droite".
- Critiques envers le RN : Arfi a dénoncé ce qu’il considère comme une "instrumentalisation" de la lutte contre l’antisémitisme par le RN. Selon lui, la visite de Bardella en Israël relève davantage d’une stratégie politique visant à redorer l’image du parti qu’à un engagement sincère.
- Méfiance persistante : Le CRIF estime que le RN n’a pas encore démontré sa capacité à affronter son passé ou à dénoncer explicitement les figures et discours antisémites qui ont marqué son histoire, comme ceux publiés dans le journal Rivarol.
- Les divisions au sein de la communauté juive
- Soutiens minoritaires au RN : Serge Klarsfeld, figure emblématique de la mémoire de la Shoah, a exprimé une opinion divergente. Dans une tribune récente, il a estimé que "le RN ne constitue plus une menace directe pour les Juifs français", critiquant la persistance du CRIF à diaboliser ce parti1. Klarsfeld souligne que l’antisémitisme contemporain provient davantage des milieux islamistes et d’une partie de l’extrême gauche.
- Réactions critiques : D’autres personnalités juives influentes, comme Bernard-Henri Lévy, ont vivement dénoncé la présence de Bardella en Israël. Lévy a annulé sa participation à la conférence sur l’antisémitisme pour protester contre ce qu’il considère comme une tentative opportuniste du RN.
- Un vote juif divisé : Dans certaines régions françaises comme Sarcelles, où réside une importante communauté juive, des études montrent que jusqu’à 70 % des électeurs juifs auraient voté pour un candidat d’extrême droite lors d’élections récentes. Ce phénomène s’explique principalement par des préoccupations sécuritaires liées à l’islamisme radical.
- Le rôle des institutions juives internationales
- Critiques internationales : La participation de Bardella à la conférence sur l’antisémitisme en Israël a également provoqué des désistements parmi les invités internationaux. Des figures comme le grand rabbin Ephraim Mirvis (Royaume-Uni) et Felix Klein (Allemagne) ont boycotté l’événement pour protester contre la présence du RN.
- Soutiens prudents en Israël : Certains responsables israéliens, comme Boaz Bismuth (Likoud), ont salué l’évolution du RN sous Bardella, affirmant que le parti s’est "nettoyé" depuis l’époque du Front National. Cependant, ces soutiens restent rares et prudents.
- Analyse des tensions
- Un fossé croissant : La position du CRIF reflète un fossé entre les institutions juives officielles et une partie des électeurs juifs français qui se tournent vers le RN pour des raisons sécuritaires. Cette fracture met en lumière un dilemme stratégique pour les organisations communautaires : faut-il continuer à exclure un parti qui attire une partie croissante des votes juifs ?
- Une méfiance structurelle : Malgré les efforts de dédiabolisation du RN, son passé historique reste un obstacle majeur à sa légitimation auprès des institutions juives. L’absence d’un véritable travail de mémoire ou d’un rejet explicite des figures controversées alimente cette méfiance.

Conclusion partielle
Les réactions du CRIF et les tensions internes au sein de la communauté juive française montrent que le chemin vers la légitimation du RN reste semé d’embûches. Si certains électeurs juifs se tournent vers ce parti pour des raisons sécuritaires, les institutions communautaires continuent de dénoncer ses ambiguïtés historiques et idéologiques. Ces divergences mettent en lumière les limites actuelles de la stratégie de dédiabolisation du RN.
Dans la prochaine partie, nous examinerons plus en détail si cette transformation relève d’une réelle évolution idéologique ou d’une simple stratégie opportuniste visant à conquérir le pouvoir.
III. Dédiabolisation ou opportunisme ? Les limites idéologiques du RN
Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front National (rebaptisé Rassemblement National en 2018), le parti a entrepris une stratégie de dédiabolisation visant à rompre avec son image historique d’extrême droite. Cette transformation, poursuivie par Jordan Bardella, cherche à repositionner le RN comme un parti républicain et fréquentable. Cependant, les critiques soulignent que cette évolution reste largement cosmétique et que le RN conserve des fondements idéologiques proches de son passé controversé.
- Une transformation stratégique sous Marine Le Pen
- Ruptures affichées : Marine Le Pen a ouvertement rompu avec les discours antisémites et négationnistes qui avaient marqué l’ère Jean-Marie Le Pen. Elle a exclu des figures controversées et affirmé son rejet de l’antisémitisme, du nazisme, et du racisme biologique.
- Changements symboliques : Le changement de nom du parti en 2018 (de FN à RN) visait à marquer une rupture définitive avec l’héritage historique du Front National. Cette démarche s’est accompagnée d’un discours centré sur des thématiques économiques et sociales plutôt que sur les questions identitaires radicales.
- La "victoire idéologique" : Marine Le Pen revendique une "victoire idéologique", affirmant que ses idées sur l’immigration, la sécurité, et le déclin social sont désormais partagées par une partie de l’électorat traditionnellement éloigné du RN3.
- Les ambiguïtés persistantes
- Un nationalisme fermé : Malgré la dédiabolisation, les critiques soulignent que le RN reste imprégné d’un nationalisme altérophobe, qui privilégie une unité nationale mythique au détriment des valeurs universelles telles que l’égalité et l’antiracisme.
- Présence de noyaux radicaux : Des militants proches du néo-fascisme continuent d’exister au sein du RN, bien qu’ils soient moins visibles publiquement. Ces groupes alimentent les accusations selon lesquelles le RN n’a pas totalement rompu avec son passé idéologique.
- Instrumentalisation des thématiques juives : Les critiques dénoncent une instrumentalisation opportuniste de la lutte contre l’antisémitisme par le RN. La visite de Bardella en Israël est perçue comme un geste stratégique visant à redorer l’image du parti auprès des électeurs juifs sans véritable engagement idéologique.
- Comparaison avec d’autres partis populistes européens
- Tendances similaires : Comme d’autres partis populistes européens (exemple : Frères d’Italie sous Giorgia Meloni), le RN cherche à se distancier des positions extrémistes pour élargir son électorat tout en conservant une ligne identitaire forte13.
- Limites structurelles : Ces transformations restent souvent superficielles, car elles ne remettent pas en question les bases idéologiques profondes des partis concernés. Pour le RN, cela se traduit par une persistance des discours anti-migrants et un rejet implicite des valeurs démocratiques libérales.
- Une stratégie électorale avant tout
- Objectifs politiques : La dédiabolisation permet au RN de gagner en respectabilité et d’attirer un électorat plus large, notamment parmi les classes populaires et moyennes touchées par le déclassement économique.
- Un ravalement de façade ? : Les critiques estiment que cette stratégie relève davantage d’un calcul électoral que d’une transformation sincère. La persistance des ambiguïtés idéologiques alimente cette perception.

Conclusion partielle
La stratégie de dédiabolisation menée par Marine Le Pen et Jordan Bardella a permis au RN de changer son image publique et d’élargir son électorat. Cependant, les ambiguïtés idéologiques persistantes et la présence de noyaux radicaux au sein du parti limitent la crédibilité de cette transformation. La visite de Bardella en Israël illustre cette tension entre gestuelle symbolique et héritage historique controversé.
Dans la conclusion finale du dossier, nous synthétiserons ces analyses pour répondre à la problématique centrale : le RN peut-il réellement prétendre incarner un protecteur sincère des Juifs ou s’agit-il d’une stratégie opportuniste visant à maximiser ses gains politiques ?
Conclusion finale : Le RN, entre ravalement de façade et quête de légitimité
La transformation du Rassemblement National (RN), amorcée par Marine Le Pen et poursuivie par Jordan Bardella, illustre une stratégie ambitieuse de dédiabolisation visant à repositionner le parti sur l’échiquier politique français et international. La récente visite de Bardella en Israël, marquée par des gestes symboliques forts tels que son hommage à Yad Vashem et sa participation à la Conférence internationale contre l’antisémitisme, constitue une étape clé dans cette démarche. Cependant, cette évolution soulève des interrogations majeures sur la sincérité et la profondeur de ce changement.
- Une stratégie efficace mais controversée
Le RN a indéniablement réussi à modifier son image auprès d’une partie de l’opinion publique française. Les enquêtes montrent une baisse significative des stigmates associés au parti : moins de Français le perçoivent comme xénophobe ou dangereux pour la démocratie. Cette normalisation a permis au RN d’élargir son électorat, notamment auprès des classes populaires et moyennes touchées par le déclassement économique. La posture pro-israélienne adoptée récemment s’inscrit dans cette logique de conquête d’une légitimité républicaine.
Cependant, cette stratégie reste controversée. Si certains observateurs, comme Serge Klarsfeld, estiment que le RN a évolué et ne représente plus une menace directe pour les Juifs français, d’autres dénoncent une transformation superficielle. Le CRIF, en particulier, maintient une position critique, refusant d’inviter le RN à ses événements et soulignant les ambiguïtés idéologiques persistantes du parti.
- Des ambiguïtés idéologiques non résolues
Malgré ses efforts pour se distancier de l’héritage sulfureux du Front National, le RN reste marqué par des ambiguïtés idéologiques :
- Un nationalisme identitaire : Le discours du RN continue de polariser autour de thématiques identitaires, notamment en désignant l’islamisme radical et l’immigration comme des menaces prioritaires. Cette rhétorique, bien qu’efficace électoralement, alimente les critiques selon lesquelles le parti instrumentalise la lutte contre l’antisémitisme pour servir une stratégie anti-immigration.
- Héritage historique : Les accusations d’antisémitisme associées au FN sous Jean-Marie Le Pen restent un obstacle majeur à la légitimation du RN auprès des institutions juives. Bien que Marine Le Pen ait exclu certaines figures controversées, le parti n’a pas entrepris un véritable travail de mémoire.
- Un dilemme pour la communauté juive
La communauté juive française se trouve face à un dilemme complexe. D’un côté, le RN se positionne comme un "bouclier" contre l’antisémitisme contemporain, qui émane davantage des milieux islamistes et d’une partie de l’extrême gauche. De l’autre, la méfiance envers les intentions réelles du parti demeure forte. Cette fracture est visible au sein même de la communauté juive : certains électeurs juifs se tournent vers le RN pour des raisons sécuritaires, tandis que les institutions comme le CRIF maintiennent une ligne critique stricte.

- Perspectives pour le RN
L’avenir du RN dépendra de sa capacité à surmonter les contradictions internes entre sa stratégie de dédiabolisation et son héritage historique :
- Travail de mémoire : Pour gagner en crédibilité auprès des institutions juives et internationales, le RN devra aller au-delà des gestes symboliques et entreprendre un véritable travail de mémoire sur son passé.
- Cohérence idéologique : Le parti devra démontrer que sa lutte contre l’antisémitisme n’est pas instrumentalisée à des fins électorales mais s’inscrit dans un engagement sincère en faveur des valeurs républicaines.
- Conquête internationale : La visite de Bardella en Israël ouvre la voie à une reconnaissance internationale accrue, mais elle reste conditionnée à une évolution idéologique profonde.
Conclusion générale
Le Rassemblement National se trouve à un carrefour historique. Si sa stratégie de dédiabolisation lui a permis d’élargir son électorat et d’améliorer son image publique, elle reste insuffisante pour convaincre pleinement les institutions juives et une partie de l’opinion publique internationale. La visite de Jordan Bardella en Israël illustre cette tension entre évolution stratégique et ambiguïtés persistantes.
Le RN peut-il devenir un protecteur sincère des Juifs ou s’agit-il d’un ravalement de façade ? La réponse dépendra non seulement des actions futures du parti mais aussi de la capacité des institutions juives et républicaines à maintenir leur vigilance face aux défis posés par cette transformation inachevée.